Après moult coups de semonce, après diverses manoeuvres participant du dilatoire et suite à l'incursion, dans la zone du Sud renfermant l'essentiel des terres arables, le régime, en dépit des réactions des populations locales, ne démord pas de sa funeste ambition d'exproprier les terres des paysans de la vallée. Ses incursions dernières, à Silla dans le bossoya, à Daarel Barka sis dans le Toro et, plus récemment, à Koylal, près de Feralla, au coeur du Hebbiya, continuent une vieille politique d'expropriation des terres, initiée dans le Trarza et qui déroule son plan machiavélique que les prétextes économiques, enduits d'un faux patriotisme, ne peuvent dissimuler. Nul n'ignore que cette politique entre en phase avec les ambitions des forces chauvines qui n'auront de repos que lorsque la particularité noire du pays sera entièrement concassée.
Souvenons-nous de toutes les initiatives passées prises par l'État, sous la poussée des forces noires du pays? Qu'est-il advenu de l'Institut des langues nationales ? Saboté, méprisé puisque participant de l'émancipation culturelle des négro-africains. D'autres mesures, pourtant censées ressouder les vertèbres cassées de notre pays, ont subi le même sort, confrontées aux chauvins arabes, déterminés à dérouler leur inique calendrier, leur méchante ambition d'effacer les noirs de ce pays. Pour s'en convaincre, rouvrons les pages encore sanguinolentes de notre récente histoire. De 1986 aux folles années 1990, que n'avons-nous pas enduré? Quels supplices n'ont pas été expérimentés sur nos corps renitents? Tout a été tenté pour nous déposséder de notre Mauritanie et, sans nos terres faisant saliver certains monstres, nous nous serions retrouvés sans aucun port d'attache dans ce pays qui est, avant tout, le nôtre et pour lequel nous avons consenti les plus grands sacrifices.
Le mois de février dernier, ces terres, décidément dans la ligne de mire de l'État décidé d'accéder à la volonté des hommes d'affaires Beydane, ont provoqué des remous dans le Hebbiya, précisément à Feralla, sur la plaine de Koylal qui a été prise d'assaut par des engins réquisitionnés pour aménager de nouveaux hectares, au nez et à la barbe des propriétaires ignorés. Cette récidive a conduit les populations à organiser un sit-in de protestation sur la cuvette alertant ainsi la Banque Mondiale, bailleur de fonds du projet dénommé Ibn Khaldoum. Illico, l'institution financière dépêcha une délégation qui visita Feralla pour s'imprégner réellement de la situation. Au terme de sa mission, la Banque Mondiale, respectueuse des droits des personnes à la propriété, décida d'arrêter les financements du projet de Koylal, véritable arnaque et grosse opération à risque pour les tensions qu'il exacerbe entre concitoyens.
Cette déculottée, au lieu de réfréner l'ardeur des forces de spoliation, accentua plutôt leur boulimie de terres et c'est Monsieur Ousmane Kane, fils du terroir et Ministre de la République, qui fut envoyé aux charbons ardents, comme de coutume, à chaque fois que le système envisage de planter une sagaie sur la chair éprouvée des sous-citoyens, notre triste statut au coeur de notre propre pays.
Dans une sortie, assez commentée sur Jeune Afrique, le sieur Kane a évoqué deux points dignes d'intérêt : outre le gouvernement ne peut plus cautionner le gâchis qu'est la non exploitation des terres de la vallée, une nouvelle approche sera expérimentée avec l'association des populations à toutes les étapes des initiatives étatiques.
Une telle avancée ne peut que susciter notre assentiment mais à une condition incompressible qui nous mettrait à l'abri des traquenards dont notre État est coutumier : délivrer des documents fiables reconnaissant la propriété des paysans.
Le Sénégal, État voisin, peut inspirer, en raison de son expérience en la matière. En effet, avec l'appui conséquent de la Banque Mondiale, les propriétaires fonciers de la région du fleuve ont pu étrenner lesdits documents reconnaissant leur statut . Qu'attend notre État pour adopter cette stratégie qui règle définitivement les vieux litiges et régule les rapports entre Gouvernants et propriétaires terriens? Ce modus operandi a été bel et bien proposé à notre pays par cette même Banque Mondiale mais motus et bouche cousue...jusqu'à cet instant. l'État mauritanien se fait désirer. Pour quelle raison malencontreuse? Nul besoin d'esprits retors pour comprendre son absence de bonne volonté, son choix de torpiller la généreuse proposition de la Banque Mondiale qui attend...
Ce rappel, fait à toutes fins utiles, doit nous pousser, nous propriétaires terriens de la vallée, à une plus grande mobilisation. Des enjeux existentiels se posent à nous et exigent la mise en place immédiate d'un cadre de concertation pouvant nous permettre de prendre en charge notre destin. Nul ne se battra à notre place, nul ne se sacrifiera pour régler notre "éminente" situation, car nous devons engager cette lutte pour éviter à nos enfants "l'apatridie", pour leur léguer le seul socle pouvant pérenniser leur être, leur civilisation.
Nous avons une haute conscience des bénéfices qu'engendrerait une exploitation maximale de notre potentiel en terres. Aussi, plus que quiconque, nous vivons la faim, au quotidien, à l'instar d'autres compatriotes vivant dans d'autres régions de cette Mauritanie aride "climatiquement" et socialement.
La condition essentielle que nous posons pour l'exploitation des terres de la vallée, nos terres ancestrales, est la remise de documents, par l'État, authentifiant le droit de propriété des paysans sur leurs domaines agricoles, fruits d'un vieil héritage.
Toute autre astuce ou mesure de diversion pourrait ouvrir la porte aux confrontations que nous ne refusons pas, si telle est l'option à laquelle les décideurs mauritaniens nous condamnent.
Chérif Ba
Cincinnati, Ohio